PAR LAURENT MAUDUIT
Il en va de Jérôme Cahuzac comme de Bernard Tapie : dans leur stratégie de défense, l’un et l’autre ont choisi de faire le carré. De ne rien dire, de ne faire et de rien révéler des secrets dont ils sont détenteurs. L’ancien ministre du budget en a administré la preuve mortifiante, lors de son audition mercredi par la commission d’enquête parlementaire constituée à l’Assemblée nationale. Et c’est aussi cette stratégie du hérisson que l’ex-homme d’affaires a retenue pour présenter sa version du scandale qui porte désormais son nom, depuis qu’un arbitrage vraisemblablement frauduleux lui a alloué indûment, le 7 juillet 2008, 403 millions d’euros prélevés sur fonds publics.
Avec les mises en examen ces derniers jours pour « escroquerie en bande organisée » de plusieurs des acteurs de cet arbitrage – et peut-être de Bernard Tapie lui-même, vendredi, à l’issue de quatre jours de garde à vue, ce livre, intitulé « Un scandale d’État, oui ! Mais pas celui qu’ils vous racontent » (Plon, 14,90€, 230 pages), connaît une sortie perturbée. Son auteur devait en assurer la promotion ce jeudi soir au journal de 20 heures de France 2, alors qu’à la même heure il sera en fait toujours confronté à la curiosité des experts de la police judiciaire, avant sans doute d’être présenté vendredi matin aux trois juges d’instruction chargés de l’affaire.
De cette accélération de l’histoire du scandale Tapie, ce livre, écrit à la hâte, porte donc la trace car son auteur n’apporte aucune réponse précise aux irrégularités et fraude en cascade, qui ont été mises au jour par les investigations policières.
Le livre s’en tient donc à présenter une réécriture, mille fois répétée, de la version de Bernard Tapie de son différend avec le Crédit lyonnais. Version truffée d’approximations, de contrevérités et même de mensonges. Ainsi donc, Bernard Tapie ose-t-il écrire que son groupe était au début des années 1990 dans une situation financière saine, regroupant des « entreprises redressées », alors que la justice a établi que son groupe se rapprochait, dès 1990, de la situation de cessation de paiement avant d’être placé en faillite en 1994.
Ainsi présente-t-il une version totalement arrangée de la vente d’Adidas par le Crédit lyonnais, qui n’a rien à voir avec ce qui est réellement advenu (Lire Le Mensonge de Bernard Tapie), pour tenter d’accréditer l’idée que l’ex-banque publique l’aurait donc floué.
Ainsi présente-t-il une interprétation totalement surréaliste de la décision du Conseil d’État rendue le 9 octobre 2006, faisant mine de croire que la cassation partielle qui est à l’époque prononcée porte sur « deux points accessoires » – alors qu’ils sont en réalité majeurs et qu’ils permettent de comprendre le forfait qui sera ensuite commis. C’est précisément parce que Bernard Tapie était en train de perdre sa confrontation judiciaire qu’il a ensuite intrigué et obtenu de Nicolas Sarkozy que la justice de la République soit entravée et qu’un tribunal privé prenne le relai.
“La bande organisée”, vue par Tapie
Bref, Tapie fait du Tapie. Tout au long de ce livre, il baratine, il biaise, il enjolive, mais surtout il n’apporte aucune précision sur « la bande organisée » que la justice s’applique à identifier, sur les modalités de « l’escroquerie » qu’elle a été vraisemblablement ourdie, ni sur le mobile de l’intervention de Nicolas Sarkozy.
De Nicolas Sarkozy, Bernard Tapie ne dit d’ailleurs rien, sinon qu’il n’est pas à l’origine de l’arbitrage – ce qui est évidemment une contre-vérité notoire comme toutes les enquêtes de Mediapart l’ont établi. Tout juste fait-il ses éloges. De ses relations avec l’arbitre Pierre Estoup, « magistrat honoraire de tout premier plan », qui a été le premier a être mis en examen sous cette qualification infamante « d’escroquerie en bande organisée », il ne dit rien non plus. Il n’explique pas pourquoi il lui a dédicacé un livre pour lui manifester son immense reconnaissance, non plus que les missions ou consultations effectuées dans le passé par le magistrat à son profit.
Bref, Bernard Tapie ne dit rien que l’on ne savait déjà. Il manifeste juste, en creux, l’inquiétude qui le ronge. Et puis, la colère qu’il éprouve contre ceux qui, inlassablement, ont cherché depuis 2008 à faire éclater la vérité. Parlant de l’arbitrage frauduleux et des critiques dont il a fait l’objet, il a ainsi cette formule : « Les opposants se sont constitués en groupe que je vais appeler à mon tour, mais ça n’engage que moi bien sûr… “la bande organisée”. Elle est composée de deux hommes politiques, de Courson et Bayrou, du soit-disant meilleur expert en arbitrage en France, M. Clay, d’un journaliste de Mediapart et bien entendu M. Peyrelevade. »
Cette attaque contre Mediapart – et contre l’auteur de ces lignes – n’est d’ailleurs pas la seule. Car, comme on le sait, Bernard Tapie n’aime guère la presse indépendante. En pleine affaire Cahuzac, il en avait déjà administré la preuve, en estimant sur BFM-TV que les révélations de Mediapart ne présentaient pas le moindre intérêt.
Bernard Tapie : l’affaire Cahuzac “ne vaut pas…par BFMTV
L’affaire Cahuzac ne vaut « pas trois lignes », avait-il donc énoncé ce jour-là, faisant valoir que notre journal l’avait aussi gravement malmené en publiant des enquêtes tordues. « Moi, j’ai vécu des choses fausses de A à Z », avait-il ajouté sur BFM-TV.
Dans son livre, Bernard Tapie repart donc à l’assaut de Mediapart. Faisant allusion à l’une de nos enquêtes sur Pierre Estoup, publiées dès le 24 juillet 2008, pas même trois semaines après la révélation de la sentence (Lire Affaire Tapie : Pierre Estoup, un très « étrange » arbitre), il a cette formule : « Authentique spécialiste, celui-là, de l’arbitrage, (Pierre Estoup) était particulièrement qualifié, malgré les insinuations des sites de désinformation Mediapart et Bakchich, pour siéger dans un tribunal arbitral.»
Voilà donc la vérité de Bernard Tapie : un presse indépendante acharnée et de mauvaise foi, des magistrats qui ne valent guère mieux ont fini par organiser un procès en sorcellerie. Tout le reste, c’est bullshit…